Passer à la proportionnelle?

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14 octobre 2024

Passer à la proportionnelle?

Le premier ministre, M. Barnier, a évoqué, dans sa déclaration de politique générale, une réflexion sur l’institution de la proportionnelle aux élections législatives, à la place de l’actuel scrutin majoritaire uninominal à 2 tours de circonscription, qui a pour effet d’amplifier la victoire du ou des partis dominants puisque le candidat qui a le plus de suffrages emporte le siège, quel que soit le score de ses concurrents. Le risque d’un tel scrutin majoritaire est que le pays légal s’éloigne du pays réel, comme on l’a vu en 2017, où la République en Marche, qui a obtenu 32 % des voix au premier tour des législatives de 2017, a obtenu 60 % des sièges.

Les motifs qui plaident en faveur de l’institution de la proportionnelle sont clairs. Ce ne sont pas seulement les traditionnels arguments d’équité : le scrutin proportionnel permet  certes une photographie plus fidèle du pays, il permet aux minorités d’être représentées et privilégie les idées et les partis sur les hommes. Mais, en l’occurrence, aujourd’hui, les partisans de la proportionnelle ont, en plus, le sentiment que le scrutin majoritaire amplifie la dérive des institutions.

Ce dont souffre la France, c’est d’un Président à la fois tout-puissant et irresponsable, qui gouverne le pays au lieu de laisser le Premier ministre le faire et dont l’élection, depuis qu’elle est suivie de législatives organisées dans la foulée, s’accompagne « normalement », compte tenu du mode de scrutin, d’un parti présidentiel majoritaire à l’Assemblée nationale. Le groupe parlementaire de cette « majorité présidentielle » est alors dans les mains du président : il ne sert qu’à voter les mesures qu’il propose et à rejeter les réformes dont il ne veut pas.

Le système, critiqué pour valoriser excessivement un Président autocrate, dévaloriser le travail parlementaire et ne pas inciter les forces politiques à négocier entre elles pour constituer des coalitions dont on pensait ne pas avoir besoin, a certes ses justifications : ainsi, le scrutin majoritaire est censé assurer une stabilité du pouvoir et rendre impossible aux partis extrêmes l’obtention d’une majorité à l’Assemblée nationale. Or l’histoire récente fragilise ces deux arguments : premier constat, les législatives de 2022 n’ont pas donné au nouveau Président de majorité absolue, dans un contexte il est vrai particulier : il a négligé de faire campagne, l’abstention a été inhabituellement élevée et lui-même n’a été élu que grâce à des voix de gauche (ses propres partisans n’ont représenté que la moitié des voix obtenus au second tour).  Pour autant, le système se grippe…ll en a été de même en 2024, en pire : après une dissolution malheureuse en cours de mandat dans un quinquennat mal conduit et impopulaire, l’Assemblée nouvelle comporte (au moins) 4 composantes, avec un parti présidentiel affaibli et des oppositions plus diverses ; même si ce n’est donc pas le mode de scrutin qui crée l’instabilité mais plutôt le passage d’un système bipartisan à un système multi-partisan, le scrutin ne joue plus le rôle attendu. Deuxième constat, dès lors que le parti d’extrême droite réunit un tiers des voix, le scrutin uninominal majoritaire à 2 tours lui aurait permis, sans le barrage du nouveau Front populaire, d’atteindre la majorité absolue, situation qui n’est, peut-être, que partie remise. Le scrutin n’empêche nullement les extrêmes d’arriver au pouvoir, au contraire.

De plus, la proportionnelle paraît plus juste, ce qui explique une plus forte satisfaction de l’électorat dans les pays qui la pratiquent. Est mise à son crédit une plus forte incitation à accepter des coalitions négociées entre des partis qui ne peuvent gouverner seuls. Avantage supplémentaire, elle permettrait aux partis de la gauche modérée de se dégager de l’alliance avec LFI, sans laquelle ils n’ont aucune chance de survivre si l’actuel mode de scrutin est maintenu.

Le risque est bien sûr à l’inverse d’accroître la fragmentation des partis, sans nécessairement les conduire au compromis : la propension à la négociation est-elle vraiment liée au mode de scrutin ou à la culture politique ? La proportionnelle permet-elle d’agir ? Les historiens de la IVe République pensent souvent que la proportionnelle a beaucoup fait pour rendre l’Assemblée de l’époque incapable de choix forts et conforter l’immobilisme.

Le risque est aussi de donner aux partis la mainmise sur les carrières de députés (la place sur la liste est déterminante pour l’élection).

Quoi qu’il en soit, la mesure figure dans le programme présidentiel de 2017 et de 2022, dans celui du MODEM, du Rassemblement national (qui désormais souhaite une proportionnelle « corrigée » par une « prime majoritaire ») et dans celui du Nouveau front populaire.

Le dossier est cependant compliqué car il existe un grand nombre de formules de proportionnelle dont les effets sont différents.  Une proportionnelle « intégrale » n’a pas les mêmes effets selon qu’elle s’inscrit dans un cadre national (c’est le cas pour les Européennes), départemental ou régional. La définition du seuil à partir duquel les listes n’obtiennent pas de sièges (en général 5 %) joue aussi. Nombre de systèmes mêlent les deux approches. Le mode de scrutin allemand est ainsi particulier : chaque citoyen a deux voix et choisit, avec la première, le député de son choix dans la circonscription qui le concerne et, avec l’autre, la liste établie par le parti qui lui convient au niveau du land. La répartition des sièges se fait en fonction du deuxième vote (avec un seuil minimal de 5 % pour faire partie de la distribution) mais les sièges obtenus à la proportionnelle sont attribués aux candidats arrivés en tête dans les circonscriptions. La formule n’est pas mixte, elle est proportionnelle mais le choix individuel des députés qui représentent les partis appartient aux électeurs, ce qui maintient un lien avec le territoire et personnalise l’élection.

D’autres formules sont mixtes :  une partie des sièges est attribuée à la proportionnelle et l’autre en fonction d’un scrutin majoritaire.  Ainsi, en 2012, la Commission Jospin, mandatée par le Président de la République pour réfléchir à un mode de scrutin reflétant la diversité du pays, a proposé de faire élire 10 % des députés à la proportionnelle. Dans une « opinion personnelle » annexée au rapport, l’économiste J-C Casanova soulignait que cela ne changerait rien du tout et demandait que la proportion soit au minimum de 20 %, voire davantage, si le but était de mieux représenter les minorités. La proportionnelle ne doit donc pas être trop symbolique. Pour autant, si l’on choisit un système mixte, il faut en peser l’équité : la proposition actuelle du Rassemblement national est d’élire les 2/3 des députés à la proportionnelle et de donner le tiers restant au parti arrivé en tête : on partage les sièges au prorata des voix puis le premier écrase les autres ! Il est vrai que les simulations auxquelles le RN a procédé lui assurent une écrasante victoire dans ce cas…

Avec une proportionnelle intégrale (par département ou au niveau national), le Rassemblement national aurait obtenu aux législatives de 2024 plus de voix qu’il n’en a obtenues en réalité (certes avec la politique de « barrage » mise en place) mais pas la majorité absolue. Avec une proportionnelle mixte selon le système proposé en 2021 par une proposition de loi MODEM (système de proportionnelle applicable seulement dans les gros départements élisant au moins 12 députés), les résultats d’ensemble auraient été un peu différents de ceux d’aujourd’hui (un peu mieux pour la gauche, le RN et les Républicains, un peu moins bien pour le centre…). En définitive, l’arrivée de la proportionnelle doit être bien pesée car ses conséquences sont très diverses selon la formule choisie : il faut veiller à ce que le système soit équitable mais ne conduise pas à des Assemblées ingouvernables car trop dispersées.