Zéro artificialisation nette : un objectif dont personne ne veut?

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Zéro artificialisation nette : un objectif dont personne ne veut?

La nécessité de réduire l’artificialisation des sols pour lutter contre l’inquiétante diminution de la biodiversité, préserver les sols et protéger les villes des conséquences du dérèglement climatique est reconnue désormais, du moins le croit-on. Après bien des tergiversations, la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a fixé pour objectif de diviser par deux, sur la décennie 2021-2031, le rythme d’artificialisation observé entre 2011 et 2021 (entre 20 000 et 30 000 hectares par an selon les départements) : la loi impose d’inscrire cet objectif dans les documents d’urbanisme (SRADDET au niveau régional, SCOT au niveau intercommunal, PLU au niveau communal). Elle fixe à 2050 le « zéro artificialisation nette », où toute artificialisation devra être compensée. C’est la première fois qu’une mesure obligatoire est prise en ce domaine et la loi a été saluée comme un progrès indiscutable.

Toutefois, dès le départ, l’application de la mesure a soulevé des inquiétudes fortes : la première porte sur les réticences des collectivités territoriales, évidentes dès le départ, alors qu’elles sont les premiers acteurs de la réduction programmée. Les collectivités ont très vite obtenu, dans la une loi du 21 février 2022 (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale), un premier recul de 6 mois du calendrier. Or, si les collectivités trouvent le calendrier trop resserré, les écologistes au contraire, le jugent trop lâche : en tenant compte des délais de modification en cascade des documents d’urbanisme, le Conseil d’État notait que la mesure ne serait pas opposable partout avant 2027, échéance bien tardive pour atteindre le résultat escompté en 2031.

La deuxième inquiétude porte sur la capacité des pouvoirs publics à accompagner les changements nécessaires à la réussite : acceptation de la densité, abandon des lotissements mordant sur les terres cultivées, utilisation des friches déjà artificialisées, lutte contre le renchérissement des terrains entraîné par la mesure, intégration de la politique dans une meilleure préservation des espaces naturels et un plan d’adaptation de la ville au changement climatique. S’agissant de politiques environnementales ou climatiques, les mesures doivent « faire système ». Une mesure réglementaire qui n’entraînerait pas de changement d’habitude ou de mode de vie serait conflictuelle et risquerait d’être mal appliquée.

 Pour répondre aux demandes locales d’assouplissement et, au demeurant, à celle du ministre de l’économie et des finances, manifestement favorable à la libération de terrains pour « réindustrialiser » le pays, le dispositif a été revu par la loi du 20 juillet 2023 : la loi allonge certains délais d’entrée en vigueur de documents de planification territoriale ; elle définit un forfait national de 12 500 hectares destinées à des projets industriels d’envergure nationale ou européenne et « d’intérêt général majeur », forfait qui ne sera pas comptabilisé dans le Zan ; elle donne à chaque commune une enveloppe d’artificialisation d’un hectare dans le cadre de la première période décennale. Enfin, la circulaire du 31 janvier 2024 autorise un dépassement de 20 % des espaces ouverts à la construction dans les plans d’urbanisme et mordant sur les espaces naturels, agricoles ou forestiers, au motif saugrenu que ces documents ne sont jamais intégralement exécutés dans leur période de validité. Cette disposition, à l’évidence contraire à la loi, a été attaquée devant le Conseil d’État par un collectif d’associations écologiques.

Cette souplesse est à l’évidence malvenue : le bilan établi sur la période 2009-2023 par le CÉREMA (centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) n’est pas bon. Il note qu’après une baisse de l’artificialisation de 2011 à 2015, qu’il impute à la baisse de l’activité du bâtiment, la tendance est étale : la croissance de l’artificialisation continue sur le même rythme. Pour 70 %, elle est liée à la construction et ce sont les communes rurales (un tiers de la population) qui ont consommé 65 % de l’artificialisation supplémentaire, souvent en bordure des métropoles et sur le littoral.

Pourtant, quelle que soit la souplesse admise dans l’application de l’objectif fixé (qui risque fort d’en empêcher l’atteinte), les collectivités continuent à manifester leur mécontentement. L’association des maires de France a fait paraître, en juillet 2024, un rapport au titre compliqué : « Des élus désorientés par la méthode demandent plus de cohérence pour atteindre l’objectif ». « Désorientés », les maires le sont peut-être, mais d’abord par l’absence de connaissance des textes (80 % ne connaissent pas le décret, essentiel pour engager la démarche, qui définit ce qu’est un sol artificialisé), ce qui laisse quand même un peu perplexe. La moitié juge les délais trop courts et un tiers ne sait pas si la région a commencé ses travaux d’adaptation du Straddet (le schéma d’aménagement régional) et ne se sentent pas associés à la démarche. Le portrait se dessine de maires privés d’information, responsables mais mal accompagnés et déresponsabilisés par un droit trop uniforme, qui « tombe d’en haut » (la première étape est de fixer des objectifs régionaux qui doivent ensuite se traduire à un niveau plus local) et ne tiendrait pas compte de la diversité des territoires. L’on comprend mal l’accusation d’incohérence, sauf à dire qu’il appartient bien aux collectivités de concilier une politique de logement et de préservation des sols et de la nature.

Il est vrai que les élus locaux se plaignent à juste titre, face à un objectif compliqué, de manquer de moyens d’ingénierie : c’est l’inconvénient décisif de l’éparpillement de communes dépourvues de moyens. Sur le fond, les élus disent redouter l’augmentation du coût du foncier et la perte de ressources du fait de la fin des lotissements : ils ont raison de s’en préoccuper. Pour autant, quand les élus déclarent partager « unanimement » les objectifs de la loi Climat et résilience et ne demander qu’un changement de ses modalités d’application, ils utilisent l’hypocrisie propre à tous les ennemis de la démarche écologique : la demande de délais supplémentaires et d’un assouplissement du dispositif cachent un refus pur et simple de la politique à mettre en oeuvre. Les sénateurs du centre et de la droite sont plus francs quand ils annoncent une proposition de loi pour 2025 remplaçant le ZAN par une « moindre artificialisation territorialisée », qui mettrait à mal toute réduction obligatoire.

Un article de la revue en ligne Métropolitiques de mars 2024, L’artificialisation des sols, qui pour lutter contre ? conclut de ces oppositions que l’artificialisation est devenue une politique « controversée et incertaine ». S’il loue les choix stricts du législateur, l’article reconnaît que faire du sol une « propriété commune » est une révolution qui peut inquiéter, parce qu’elle met en cause le droit de propriété et les droits naguère reconnus aux communes, sans même mentionner l’évolution difficile des choix urbanistiques et d’habitat. Peut-être aurait-il fallu, dit l’article, ne pas choisir une politique nationale mais traiter d’abord des zones où la question est aiguë, littoral, zones montagneuses, aires d’attraction des métropoles. De même, l’article déplore que le gouvernement n’ait pas su communiquer sur les enjeux de la loi Climat et résilience et ses conséquences pour les modes de vie.

Le ZAN, révolution culturelle, est une révolution malmenée.