Probable (ré)agrément d’Anticor : une victoire contre la corruption

Zéro artificialisation nette : un objectif dont personne ne veut?
19 août 2024
L’Insee : à la recherche des gains de productivité perdus
19 août 2024

Probable (ré)agrément d’Anticor : une victoire contre la corruption

L’association Anticor de lutte contre la corruption a perdu en 2023 l’agrément qui lui permettait de se porter partie civile en ce domaine. La loi du 6 décembre 2013 de lutte contre la corruption prévoit en effet que les associations agréées disposent de ce droit dès lors qu’elles remplissent certaines conditions, qui, outre l’ancienneté et l’activité, portent, en vertu du décret du 12 mars 2014, sur « de ses activités » et sur « un fonctionnement régulier (…) présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion ».

Il se trouve que, sur fond de conflits internes au sein de l’association, deux personnes, un adhérent et un ancien adhérent, ont obtenu que le Tribunal administratif de Paris annule le 23 juin 2023, avec effet rétroactif, l’agrément donné à Anticor par arrêté du 2 avril 2021, au motif que les pouvoirs publics, qui avaient alors souhaité que l’association soit plus transparente financièrement, s’étaient contenté de l’engagement de mettre en place des mesures correctives, en particulier une refonte des textes statutaires et le recours à un commissaire aux comptes. Les conditions portant sur « le caractère désintéressé et indépendant » et le « fonctionnement régulier » n’étaient donc, selon le tribunal, plus remplies. L’association a ensuite soutenu que les mesures de transparence demandées avaient été mises en œuvre immédiatement, dès avant la délivrance de l’agrément, mais que les motivations rappelées dans l’arrêté avaient été volontairement ambiguës.

Cette annulation de la décision d’agrément empêchait l’association, impliquée dans 150 affaires de corruption, de poursuivre son activité.

La Cour administrative d’appel a confirmé cette annulation en novembre 2023 : E. Borne, nouveau Premier ministre, avait affirmé soutenir alors les demandes de l’association, envoyant une note d’observations selon laquelle les conditions de l’agrément étaient remplies au moment de l’arrêté d’agrément. Mais la note ne demandait pas explicitement que les motifs de l’arrêté initial soient modifiés, ce qui, selon la Cour d’appel, aurait privé ses observations de portée pratique.

Anticor a alors déposé un recours devant le Conseil d’État (non examiné à ce jour) contre la décision de la Cour d’appel. L’association a en outre déposé, en janvier 2024, une nouvelle demande d’agrément, à laquelle les pouvoirs publics ont opposé un refus tacite au bout de 4 mois, indiquant officieusement attendre l’issue des contentieux en cours.

Anticor a déposé un recours contre ce refus tacite d’agrément.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a donné raison le 9 août 2024. L’ordonnance enjoint au gouvernement de réexaminer la demande d’agrément en tenant compte des observations du tribunal : la décision de refus tacite, qui par définition n’est assortie d’aucun motif, porte atteinte à un intérêt public, la lutte contre la corruption. De plus, au regard de la lecture du décret du 12 mars 2014 qui précise les conditions pour obtenir l’agrément , le tribunal considère qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de ce refus.

Ce bras de fer entre les pouvoirs publics et le pouvoir politique (qui n’est pas terminé, même si l’agrément a de fortes chances désormais d’être renouvelé) emporte plusieurs leçons.

En premier lieu, il est anormal que le gouvernement, dont certains membres ou proches ont été mis en cause par Anticor, soit à la fois juge et partie, conduit à la fois à défendre des responsables politiques attaqués par Anticor et à instruire la demande d’agrément de l’association. Celle-ci devrait l’être par une autorité indépendante pour éviter les coups bas.

En second lieu, ces échanges entre les pouvoirs publics et l’association, qui manquent pour le moins de noblesse et d’impartialité, ont eu lieu sur fond d’un jugement sévère des conditions de lutte contre la corruption en France émis par le Conseil de l’Europe en avril 2024 : la France, dit celui-ci, ne se conforme pas suffisamment aux recommandations qui lui avaient été faites dans un précédent rapport de 2022. Quant au médiocre rang de la France dans le classement de l’indice de perception de la corruption de Transparency international (20e ex-aequo avec trois autres pays sur 163), il s’explique, selon Transparency, par un manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et par l’absence d’une politique publique correctement coordonnée. Transparency international note qu’à ce manque de volontarisme politique « s’ajoute la volonté d’entraver l’action des associations anticorruption illustrée par le feuilleton du non-renouvellement de l’agrément d’Anticor, dont le dernier épisode en date a vu le gouvernement rejeter implicitement la nouvelle demande d’agrément déposée par l’association, au grand dam de l’ensemble des associations anticorruption agréées ». De fait, la France, déjà mal jugée en ce domaine, n’avait pas besoin de ce petit déshonneur supplémentaire.