Discriminer, selon la définition donnée naguère par la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, institution qui a précédé le Défenseur des droits), c’est priver une personne, sur des critères prohibés par la loi (sexe, état de santé, âge, origine, opinions, orientation sexuelle…), d’un droit ou d’un traitement auquel elle pourrait prétendre.
L’Observatoire des inégalités a publié en novembre dernier un ouvrage qui tente de mesurer les discriminations en compilant toutes les études existant sur le sujet. La volonté est d’objectiver le débat et d’aller au-delà du déclaratif. Il en ressort, de l’aveu même des rédacteurs, le sentiment d’un phénomène massif mais au final mal connu, avec une difficulté de mesure et l’impossibilité, en particulier, de mesurer son évolution.
L’on comprend la préoccupation de mesure, puisqu’elle permettrait de sensibiliser davantage à un phénomène dont l’ampleur est sans doute sous-estimée et qui a des répercussions importantes sur la cohésion sociale. Reconnaissons cependant plusieurs points : en premier lieu, le « déclaratif » et les témoignages ont leur force. Lorsque près d’une personne adulte sur 5 déclare avoir été victime de discrimination dans les 5 ans passés, que ce taux monte à 26 % pour les immigrés, à 28 % pour les enfants d’immigrés et à 32 % pour les personnes originaires de l’Outre-mer, le phénomène n’est certainement pas marginal. De plus, dès que l’on met en œuvre une opération de testing sur l’accès à l’emploi, aux stages, au logement, aux services bancaires, les discriminations apparaissent, clairement et fortement, sans compter les contrôles au facies ou d’une manière plus générale, les pratiques policières voire de la justice, mal mesurées mais apparemment répandues. Surtout, comme le montre un article du 30 novembre 2023 de la revue en ligne Métropolitiques, Discriminations et politisation dans les quartiers populaires, alors que les témoignages mettent en cause non pas seulement des personnes mais souvent des institutions, il n’existe pas de réponse politique, comme si la question ne l’était pas. Selon l’article, sur 900 récits de discriminations subies, la victime, pour la moitié des témoignages, incrimine des individus (la bêtise, les préjugés) et, pour l’autre moitié, les pratiques régulières de certaines institutions (l’école, la police, les médias) ou la stigmatisation générale de certains groupes comme les musulmans. De fait, sur certaines discriminations (par exemple les discriminations sexistes), les pouvoirs publics semblent mobilisés et impliqués, veillant à ne pas eux-mêmes y participer et délégitimant donc de telles discriminations. Ils sont moins attentifs aux discriminations qui frappent les handicapés, les enfants, les syndicalistes et surtout les immigrés, dans leur accès au travail et au logement et leurs relations avec la police. Les pouvoirs publics ont tendance alors à renvoyer la discrimination à une faute personnelle des acteurs sans accepter de reconnaître leur propre tolérance. C’est ce refus de voir le caractère « politique » des discriminations qui rend la lutte difficile voire inefficace…Comment lutter si les discriminations sont tolérées et si les services publics ne sont pas exemplaires ? Les discriminations sont mal décomptées parce que les victimes les taisent ou jugent qu’elles n’ont rien à gagner à se plaindre. Dans cadre, démontrer qu’il ne s’agit pas de pratiques isolées et individuelles est peut-être encore plus important que de les dénombrer.